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Le temps des voyages 2
04/08/2009 13:42
Nous devions aller en Grèce cet été là, à Kavala, petite ville en bord de mer située entre Salonique et Istanbul. Nous devions embarquer à Marseille, sur un bateau qui devait nous conduire à Athènes en trois jours. J’ai voulu mettre un pantalon mais ma mère qui pensait que l’on partait en croisière m’a obligée à mettre une robe chemisier blanche. Nous sommes arrivés beaux et propres comme des sous neufs sur le quai. Nous avons du attendre avant d’embarquer que notre « paquebot » ait chargé des vaches dans sa soute. En fait il était aussi un peu cargo. Nous étions en première classe mais même là ce n’était pas très reluisant. Soulagée, Je me suis précipitée dans ma cabine pour enfiler un Lévis blanc et un tee shirt pendant que mon frère retirait son costume. C’était un vieux bateau avec lequel nous avons du faire une de ses dernières traversée. Il a été ensuite échoué du coté de Narbonne, à Barcares, et transformé en restaurant, boite de nuit. J’y suis allé alors avec des amis et il était si rutilant, si luxueux que je ne l’ai pas reconnu. Pour l’instant, redevenus mon frère et moi des ados de notre âge, nous sommes partis explorer les ponts. Il y avait les premières classes où chacun avait sa cabine et accès aux salles à manger, les secondes qui étaient des sortes de dortoirs et où on pouvait éventuellement aller se restaurer dans une sorte de self et la classe pont où les gens dormaient dans des duvets à même le sol et se nourrissaient des vivres qu’ils avaient embarqués. Il y avait sur le pont arrière toute une équipe de jeunes bourgeois parisiens qui partaient à l’aventure. Quand nous sommes arrivés avec nos guitares, mon frère et moi nous avons été tout de suite adoptés. Il y avait un autre guitariste Patrick. J’ai chanté comme jamais sur ce bateau. Finalement nous avons vécu classe pont cédant ma cabine de première à une dame de seconde qui ne supportait pas la promiscuité. Je chantais du matin au soir et surtout du soir au matin et plus je chantais plus ma voix devenait docile et belle. Je n’ai jamais aussi bien chanté que sur le Lydia. Il y eu des tempêtes mais nous avions le pied marin. Ce n’était pas le cas de tous les passagers. Alors avec la complicité des serveurs nous remontions les plats servis dans la salle à manger désertée à nos amis du pont. L’équipage avait acheté du vermouth lors d’une escale à Gennes. Ils arrivaient le soir avec leurs bouteilles et des verres pour passer la soirée avec nous. Quelques passagers s’égarèrent dans notre fief et puis d’autres et puis d’autres encore. Le pauvre capitaine avait prévu une soirée en première mais tous les passagers étaient assis par terre sur l’arrière pont qu’ils avaient surnommé le saint Tropez du bateau. Le pauvre homme fini par nous demander de venir nous produire en première et là, comble de luxe il y eu même un piano pour m’accompagner. Nous devions faire trois jours de voyage, nous en fîmes cinq. Je ne sais même pas si nous nous en sommes aperçus. Nous avons très peu dormi durant cette traversée. Il est des moments intenses qu’il faut vivre au maximum. Mon père nous attendait à Athènes depuis deux jours. Si je n’ai jamais eu le mal de mer, j’ai eu le mal de terre. Je voyais le quai tanguer. C’est dans la salle de bain de l’hôtel que j’ai commencé à avoir des nausées en voyant la valse des murs. Nous sommes ensuite montés voir l’acropole et là il a bien fallu dire adieu à notre fine équipe…………….. Cette traversée sur le Lydia a été un véritable miracle. Pendant cinq jours j’ai chanté, j’ai été la reine de ce bateau. Je ne me posais pas de question sur mon physique, sur mes relations, sur mes problèmes existentiels. Je chantais et j’étais bien. Les gens autour de moi m’écoutaient et ils étaient bien. Nous n’avons pratiquement pas vu ma mère de toute la traversée. Nous avions créé un monde dans le monde sur l’arrière pont d’un vieux rafiot. A Kavala nous avions une villa prés de la plage. Il y avait des paillotes prés de la mer où il était possible d’aller manger du crabe préparé par Socrate et du poulet grillé par Platon. Nous avions rencontré un jeune Grec, Christos, qui avait une barque et qui nous amenait sur des plages désertes où nous faisions de la pèche sous marine. Nous consommions ensuite nos poissons ou nos poulpes sur place après les avoir fait cuire sur un feu allumé sur le sable. Les poissons dans ces petites criques étaient nombreux et pas très farouches si bien que nous n’étions jamais bredouilles……….. Nous avons reçu un jour une lettre d’un de nos copains du Lydia, qui faisait un stage d’ingénieur agronome à Samos et qui s’y ennuyait ferme. La classe pont sur les bateaux était un mode économique de transport et puis c’était idiot d’être en Grèce et de ne pas visiter les iles. Mon père avait un ami ingénieur dont la femme était la « mère » de l’ile de Thassos. Nous y ferions donc une escale et ensuite nous irions à Samos. La toile de tente dans le sac à dos, la guitare sous le bras, nous avons pris mon frère et moi le bateau pour Thassos. Nous sommes tombés sur une sorte de jet set grecque. Pas de camping bien sur, nous avons été hébergés dans une superbe maison au bord de la mer. C’était la fête tout les soirs si bien que nous avions un peu oublié notre copain de Samos. Nous devions rester deux jours à Thassos nous y sommes resté plus de dix jours, je crois. Le bateau qui devait nous amener à Samos était tout petit et tanguait déjà dans le port sur une mer d’huile. Cette nuit là il y eu une tempête, nous avons bien cru y rester. Il y avait à bord deux garçons qui étaient venus avec des ballets basques et qui étaient ensuite resté quelques temps pour visiter la Grèce. Ils devaient aller à Mykonos. Ils décidèrent de faire escale à Samos avec nous. Nous avions écrit à notre copain « nous arrivons, attend nous ! ». Nous avions trainé en route et il ne nous avait pas attendus. Seul là bas je le comprenais. Samos ressemblait à une ile de début du monde. Nous avons découvert des villages rudimentaires, des ânes, des chèvres, d’immenses plages désertes où il semblait que le touriste n’avait jamais posé le pied. Nous nous sommes installés tous les quatre sur la plage ivre de soleil et de liberté. L’eau était claire et la température idéale. Nous avons passé notre soirée autour d’un feu de bois. Mon frère, Bernard grattait la guitare, je chantais et nos deux danseurs improvisaient des danses qui n’avaient plus rien de Basque. Nous étions tellement dans notre bonheur que nous n’avons pas vu les silhouettes qui se profilaient au loin. Le lendemain matin un petit garçon arriva, tirant un âne dont les bats renfermait des trésors locaux. Du raisin, du miel, du fromage de chèvre, du pain, du vin résiné, du vin muscat… les présents du village. Il nous demanda si les villageois pouvaient venir nous écouter le soir et à la nuit tombée tout le village était la assis en rond autour de nous, nous avions l’impression d’être des troubadours. Nous avons été aussi invités chez eux. Ils étaient réellement très pauvres. Ils vivaient dans des granges avec leurs bêtes et nous nous sommes alors rendu compte de la valeur des présents du matin. Nous avons décidé de suivre les basques. Nous avons envoyé à nos parents une carte « Nous continuons sur Athènes et Delphes par nos propres moyens, ne vous inquiétez pas » Nous avions deux passeports internationaux la guitare et ma voix. Nous sommes passés par Mykonos, ile ravissante mais touristique. Ma préférée sera toujours Samos, l’ile au vin à gout de résine. Arrivés à Athènes, la situation était simple, nos finances étaient telles que soit nous prenions une chambre à l’auberge de jeunesse avec en prime une douche, soit nous mangions. Mon frère voulait manger, moi me doucher. Nous nous sommes sérieusement accrochés à ce sujet. Les Basques étaient montés jusqu’à l’acropole, nous étions fatigués et nous les attendions sur un banc. Nous n’avions pas vu un couple de français assis non loin de là. Le monsieur nous a abordés. Nous lui avons raconté notre périple. Il nous a dit « je suis prof de fac, je reviens des indes et nous avons fait une escale ici pour visiter, je crois bien que je peux résoudre votre problème, suivez nous ! » « Nous ne pouvons pas et les Basques ! » Je n’ai jamais abandonné personne dans ma vie, ni en Grèce, ni ailleurs. Nous les avons attendus et notre mécène nous a conduits à l’auberge de jeunesse. Le soir il nous a invité dans un des ces restaurants en terrasse sur les toits d’où on pouvait admirer toute la ville d’Athènes. Avec le prix d’un plat, nous nous vivions une semaine et cela nous a beaucoup amusés. Le lendemain il nous a donné un peu d’argent et nous sommes partis pour Delphes. Le soir, nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant. Il y avait un animateur. Il a aperçu la guitare et nous a demandé de jouer. Il a fait le mime sur les chansons. A la fin il a fait circuler une corbeille dont il nous a donné le contenu. Nous pouvions continuer notre voyage en toute sérénité. Nous avons perdus nos Basques sur la route de Delphes. Le stop pouvait être aléatoire. Nous avions pour donner des nouvelles de nous à nos parents une technique particulière. Quand nous rencontrions des stoppeurs qui allaient sur Istanbul, nous leur disions « si vous voulez un repas chaud, un lit, une douche, allez à telle adresse à Kavala et dites a nos parents que nous allons bien. » Ma mère avait acheté un stock de pates et mon père guettait les sacs à dos sur la terrasse en rentrant du boulot. Après la visite de Delphes nous avons décidé de prendre le chemin du retour. Nous faisions de petites étapes, en suivant la cote souvent car les plages sont plus confortables pour dormir et il y avait des douches froides certes mais des douches. Je ne sais pas comment nous nous sommes retrouvés un soir, à la tombée de la nuit, dans un champ d’olivier plein de cailloux. C’était la pleine lune, tous les ânes de Grèce brayaient. Entre les cailloux dans le dos et le bruit ce fut une nuit interminable. Nous nous sommes endormis au petit matin. Le soleil commençait à monter au zénith quand une dame vint nous apporter un plateau avec du café, un rayon de miel, du pain et du beurre. La vie était belle en ce temps là dans les pays hospitaliers. Nous avons fait notre dernière halte, pas très loin de Kavala. Il nous restait assez d’argent pour une nuit d’hôtel et un bon restaurant. Nous avons savouré ce « luxe » toute la soirée et une partie de la journée du lendemain. Après une période plus calme partagé entre la plage et les soirées familiale chez Socrate et Platon, nous sommes partis en stop avec mon frère quelques jours à Istanbul. J’aimais imaginer la tête des européens quand ils arrivaient à Topkapi du temps de la splendeur des sultans. Le moindre objet utilitaire était fabriqué en métal précieux et en pierre rare. La mosquée bleue a une ambiance magique. Sur le retour, nous nous sommes disputé mon frère et moi. Il m’a dit « de toute façon tu n’oseras pas faire du stop sans moi ». Je suis allé au bord de la route et la première voiture qui passait s’est arrêtée. Il était avocat, s’appelait Phoebus et m’a proposé d’aller à la foire de Salonique avec lui. Nous étions tout prés de Kavala. Je lui ai dit mes parents ne voudront jamais. Quand il m’a déposée chez mes parents ma mère m’a dit « mais vas y ! » J’ai refusé. Je ne me voyais pas partir seule à mon âge avec un inconnu d’une trentaine d’année. Il est repassé en revenant de Salonique et m’a ramené un cadeau : une paire de pantoufle, hasard ou trait d’humour ? Mon frère a mis deux jours pour trouver un véhicule. Il est rentré furieux après moi.
Il fallait sortir la voiture de mon père tous les trois mois de Grèce pour des questions de taxe. Je me souviens d’un weekend sympa à Sofia. Le soir au restau prés de la frontière, j’avais rencontré des étudiants en médecine avec qui j’avais discuté en russe. Je leur dit à quel point j’avais aimé Moscou et les russes, je leur dis la chance qu’ils avaient de pouvoir faire les études qu’ils voulaient sans avoir besoin de l’accord et des finances des parents. Ils me dirent « oui ! Effectivement. Mais ce soir vous allez passer la frontière librement, nous nous n’en avons pas le droit. » Comme pour illustrer leur propos, prés de la frontière ont soudain jailli des champs de maïs environnant des militaires mitraillette au poing qui ont fouillé notre voiture de fond en comble. Visiblement il cherchait à voir si nous n’avions pas un passager clandestin. C’est vrai je n’avais pas vu cet aspect des choses. La rentrée approchait. Nous sommes rentrés à Martigues en voiture avec ma mère. C’était une vraie expédition avec quelques étapes en Yougoslavie et une à Venise.
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